Yoga et troubles du spectre autistique

Le yoga offre suffisamment d’outils pour être adapté aux personnes souffrant de troubles autistiques. J’enseigne le yoga en Seine Saint Denis, en 2018 j’ai été contactée par un IME (Institut Médico Éducatif) pour venir animer des séances de yoga in situ. Cette structure accueille de jeunes personnes (de 13 à 20 ans) qui se situent sur le spectre de l’autisme (TSA), pour la grande majorité non-verbaux.

N’ayant aucune expérience dans le domaine du handicap je décidai d’exploiter la pédagogie de Krishnamacarya pour l’enseignement du yoga aux enfants, avec l’intention d’expérimenter et de découvrir ce qui serait adapté ou pas. Cette pédagogie utilise beaucoup le son, le jeu, et la relaxation. C’est donc autour de ces 3 axes que je construis les premières séances.

L’utilisation du son

Beaucoup d’écoles de yoga utilisent le chant pour ses qualités vibratoires. Les pratiquants chantent des mantras en sanskrit ou des bijas - des sons mono syllabiques simples. Certains sont dits dynamisants ou relaxants. J’avais déjà fait l’expérience de l’effet du son dans mes cours pour enfants, j’avais noté que le chant apportait de la cohésion aux groupes et que c’était un élément canalisateur des “énergies” en présence. Lorsque je l’introduis les enfants furent immédiatement moins dispersés, et la somme des présences forma enfin un groupe.

Avec les jeunes autistes le son se révéle aussi très utile. Bien que certains n’aient que très peu ou jamais chanté (ce sont des « autistes non verbaux »), le son permet de former un espace autour de nous, de nous isoler ensemble de l’environnement et que chacun s’intègre physiquement au groupe. C’est une vibration physique qui nous emplit et nous permet de nous retirer pendant quelques instants de l’extérieur, ensemble, et nous permet de faire l’expérience de l’apaisement.

Séquençage par le son

Les personnes autistes ont souvent beaucoup de difficultés à se répèrer dans le temps. J’ai observé que les équipes éducatives associent souvent des images aux activités en cours et à venir afin de faciliter la  compréhension du déroulement de la  journée. Il s’est effectivement avéré tout à fait pertinent d’associer chaque étape du cours à un son.

Le son et le système nerveux

Le chant est nécessairement produit sur une expiration. Chanter une phrase, plus ou moins longue, permet d’augmenter la durée, plus ou moins, notre expiration. Chaque fois que nous expirons notre fréquence cardiaque et notre pression artérielle baisse un peu, allonger notre expiration participe à l’apaisement du sytème nerveux sympathique et à l’activation du système para sympathique. Cela se révèle particulièrement utile pour des individus en situation de handicap et de vulnérabilité qui, lorsqu’ils sont accueillis collectivement en structure sont confrontés à beaucoup de stimuli et à un bruit quasi permanent au sein de cette structure.

Certains sons sont plus apaisant que d’autres. Il est par exemple reconnu que les sons chuintants produisent un effet calmant, ils augmentent la surpression et stimulent ainsi le système parasympathique, notez que nous les utilisons instinctivement pour calmer les bébés (“ch…ch…”) ou lorsque l’on dit “chut..”. Avec les groupes nous avons généralement utilisé des sons dynamisants en début de séance puis des sons chuintants pour terminer la séance.

Le son et l’attention

J’utilise le son avec deux modalités différentes, nous chantons ensemble ou bien le groupe répète mon chant. La répétition, ici associée à un mouvement, fait appel à la capacité d’imitation. Rappelons que nous autres êtres humains apprenons et socialisons en imitant nos pairs. Il est fréquent que ces jeunes aient du mal à rester attentifs, ils peuvent être absorbés par la présence d’un objet (une poussière sur le sol par exemple), ou envahis par l’irruption d’une sensation (un orteil qui gratte par exemple), Dans ce contexte cette demande permet de garder chaque jeune dans une certaine attention, de maintenir le lien entre lui et le groupe.

On peut également travailler en nuançant le son, chanter plus ou moins vite, plus ou moins fort, autant de nuances qui permettront de garder le lien entre le jeune et le groupe mais aussi si besoin de calmer ou de dynamiser le groupe (selon le volume, la tonalité du son utilisé).


Le corps

Sans aucune expérience dans ce domaine j’avais imaginé que les personnes atteintes de TSA (troubles du  spectre autistique). En réalité la plupart de ces jeunes n’ont pas été hostiles aux contacts physiques, bien au contraire. Les contacts physiques que j’ai avec eux sont souvent été d’une grande douceur, mais parfois maladroitement brutaux.

J’ai noté que beaucoup étaient très laxes, comme si ils manquaient de tonus, de quelque chose qui les tienne, de quelque chose qui les contienne. Mais étrangement ces jeunes pouvaient paraître laxes visuellement mais se révéler rigides au toucher. Il semblerait que ce soit en lien avec leurs troubles sensoriels, on parle d’hypo ou d’hyper sensibilité pour la  proprioception, ce qui peut entraîne un tonus plus ou moins marqué, et qu’effectivement les  profils sensoriels des personnes TSA puisse fluctuer à différents moments de la journée.

Ces jeunes semblent souvent perturbés par leur propre corps, par leur interoception, des sensations peuvent t faire irruption dans le champ de leur attention et les empêcher de mener à bien l’activité dans laquelle ils sont engagé. Pour certains un pied qui gratte peut devenir invalidant, pour une autre ce peut être l’attache de son soutien-gorge. Et ceci n’est sans doute que la partie visible de tous les assauts sensoriels auxquels il sont soumis depuis leur propre “intérieur”.

Le Restorative Yoga

Le Restorative Yoga est j’en suis certaine ce que ces jeunes viennent chercher dans ce cours et la raison pour laquelle ils sont attachés à la séance de yoga hebdomadaire. Le résultat est spectaculaire. Comme je l’expliquais plus haut ils sont très souvent assaillis par des sensations venant de leur intérieur ou de leur enveloppe corporelle. Ils peuvent aussi être assaillis par des perceptions provenant de l’extérieur, des bruits, parfois des objets s’invitent dans leur champ de perception et les captivent, les absorbent : une tache sur le sol, une branche qui s’agite à travers la vitre et on les perd.

Je ne suis pas psychologue, je ne peux donc décrire et non de manière scientifique les jeunes avec qui j’ai travaillé. Je ne donnerai que 3 exemples de personnalités, 3 types d’agitation personnelle : la première chante parfois compulsivement, le second ne peut réfréner son envie de sauter ou grimper (sur une table, un radiateur, tout ce qui se trouvera un peu en hauteur). Le troisième est réputé imprévisible, parfois brutal, il peut vous repousser violemment si vous le touchez et passe beaucoup de temps à se balancer assis sur une chaise, en fredonnant, avec un casque anti bruit sur les oreilles.

Ces trois jeunes passent chaque semaine 20 minutes complètement immobiles et silencieux dans un posture de Restorative Yoga. Il ne se passe rien pendant 20 minutes, nous ne parlons pas, nous ne bougeons pas, il n’y pas de musique. Il s‘endorment parfois. Pendant ce moment d’isolement sensoriel, ils ne sont jamais assaillis, ils ne se lèvent jamais brusquement sans pouvoir se contrôler. Comment l’expliquer ? Dans une posture de Restorative Yoga on est à la fois soutenu et contenu, c’est je crois ce qui crée un sentiment de sécurité assez puissant pour les apaiser.

Qu’est ce que le Restorative Yoga ? C’est une pratique assez moderne, les postures sont certes des postures de yoga traditionnel mais on les pratique beaucoup plus longuement (jusqu’à 30 minutes). On utilise des coussins pour soutenir notre corps dans des positions d’extension, de flexion, de torsion, toutes modérées. On utilise des couvertures et d’autre objets pour contenir le corps, peser sur le corps, réchauffer le corps. Le but de cette pratique et d’apaiser le corps, d’envoyer un signal de confort et de sécurité à notre système nerveux. Cette expérience comme toute autre expérience est enregistrée quelque part dans notre corps, dans notre psychisme. Si elle est répétée suffisamment régulièrement et sur une certaine durée elle peut sans aucun doute nous transformer, un tant soit peu.

Le Restorative Yoga nous offre à tous l’opportunité de passer un moment dans une « capsule » sensorielle, il n’est donc pas étonnant que les autistes apprécient cette pratique. On dit souvent qu’ils se placent eux-même dans une capsule ou dans une « carapace » pour se protéger du monde extérieur. Or, comme me le faisais remarquer un psychologue travaillant dans la structure, dans leur vie quotidienne (avec les thérapeutes, avec les éducateurs et sans doute dans l’entourage familial) on s’efforce de leur apprendre à être dans le monde et non plus à s’en retirer. Peut-être est-ce donc un des rares moments où on les accompagne dans ce retour sur eux-même, et pendant lequel on s’assure que toutes les conditions soit réunies pour que ce retour sur eux même soit synonyme d’apaisement alors qu’il est peut-être doute souvent synonyme d’effondrement ou de tempête.

Perspectives

Comme tout pratique corporelle ou intellectuelle c’est la régularité et la constance qui permettent d’obtenir des résultats profonds. Ici la question se pose : comment mettre en place une pratique régulière de yoga, et en particulier de Restorative Yoga, dans le cadre d’un suivi médico-éducatif ? Les éducateurs qui assistent aux séances sont unanimes, les séances sont réellement efficaces sur le moment. Mais qu’en est-il des effets à moyen et long terme ? J’aimerais pour cela avoir la possibilité de proposer 2 à 3 séances par semaine aux mêmes sujets dans le cadre de l’institution. Ou proposer une mini formation aux éducateurs, ou même aux familles afin qu’ils mettent en place des séances de manière plus régulière. Il serait alors intéressant d’observer les résultats. À suivre….

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